La lutte pour le droit des femmes, victime des aléas géopolitiques
Par Patricia Lalonde
Ancien député européen
Secrétaire générale de mobilisation for elected women in Afghanistan
Les Iraniennes manifestent et exigent la liberté ou non de porter le voile. Les femmes du monde entier se reconnaissent dans leur combat, la mort de la jeune Asma Amini a choqué toute la planète et la répression par le régime iranien dont elles font l’objet est violente.
Mais il serait bien de rappeler que de l’autre côté de la frontière, en Afghanistan, les femmes ont tout perdu.
En juin 2000, des femmes de tous les horizons sont venues protester au Tadjikistan, à la frontière avec l’Afghanistan pour défendre les afghanes victimes du régime des talibans, à l’époque toléré par les capitales occidentales car les combattants djihadistes avaient vaincu l’armée soviétique et rétabli « l’ordre » après une sanglante guerre civile.
Les chancelleries occidentales expliquaient à l’époque que l’ordre dans le pays passait AVANT la défense des « droits fondamentaux des femmes afghanes » : Pouvoir sortir seule, sans être obligatoirement accompagnées par un homme de leur famille, totalement cachées sous la burqa, pouvoir se faire soigner, pouvoir aller à l’école, puis à l’université, pouvoir travailler…
Bref, échapper au programme d’un Etat islamique.
Il a fallu attendre le 11 septembre et les attentats contre les tours du World Trade Center, pour que la guerre contre la terreur soit lancée par Washington et que l’Afghanistan soit libéré des talibans et du joug imposé aux femmes afghanes.
Elles allaient ainsi progressivement récupérer leurs droits.
Femmes afghanes et iranienne : des conditions de vie bien différentes
Par contraste, ce qui surprenait dans les rue de Téhéran il y a encore quelques années, c’est une certaine modernité et une relative liberté dont semblaient jouir les Iraniennes. Rien à voir avec l’ambiance dans les rues de Kaboul et dans les grandes villes d’Afghanistan : hommes et femmes se côtoient dans les cafés de Téhéran et le véritable hijab est porté principalement par les femmes plus âgées… Bien loin du diktat des talibans.
Les filles sont scolarisées, elles sont nombreuses dans les universités, les femmes peuvent travailler… De grès ou de force, le nouveau régime des Mollahs a entériné une partie des acquis sociaux et juridiques que la monarchie avait reconnue aux femmes. Il a renoncé à les assigner à un rôle traditionaliste ; le droit au divorce, dicté par un « livret de mariage », leur permet de poser des conditions en cas de divorce, contredisant le cadre religieux. La polygamie, permise dans le code religieux, est un motif de divorce si son refus est mentionné dans ce livret de mariage. Si le prétexte actuel de la révolte des Iraniennes et des Iraniens est d’obtenir l’abandon de tout signe religieux, et en premier lieu celui de l’obligation du port du voile, il semble que les manifestants veulent en réalité renverser le pouvoir des Mollahs…
Mais il ne serait pas correct de ne pas lier l’ampleur de cette révolte a la situation géopolitique ; l’échec des pourparlers pour faire revivre les accords du JCPOA (accord de non-prolifération nucléaire), ainsi que le récent soutien de l’Iran à la Russie dans la guerre contre l’Ukraine ont contribué sans doute à la déstabilisation de l’Iran. Il ne serait alors pas impensable d’imaginer que des groupes d’opposants refugiés à l’étranger, au Kurdistan irakien, entre autres, aient participé et soufflé sur les braises de la révolte afin de provoquer une guerre civile et un éventuel renversement du régime, alors même que la succession d’Ali Khamenei se profile.
Il ne faudrait pas que les révoltes en Iran masquent la responsabilité des occidentaux dans le drame afghan justifiant ainsi le deux poids deux mesures des occidentaux dans la défense du droit des femmes.
Se tromper d’opposants nuit au droit des femmes
Il est vrai qu’avoir mis sur le même pied Bachar el Assad et l’Etat Islamique dans notre combat en Syrie, nous être associés à certains groupes d’opposants djihadistes islamistes, devraient nous obliger à un peu plus de modestie. Les femmes avaient à l’époque leurs droits, et chrétiennes, juives, musulmanes cohabitaient sans problèmes. Nous avons préféré soutenir les opposants qui auraient remplacé un régime certes autoritaire par un régime islamiste, influencé par la charia. Le droit des femmes syriennes n’étaient en aucune manière la préoccupation des occidentaux. De même, ce n’est pas au nom du droit des femmes tunisiennes que nous avons apporté notre soutien à Ennahda pendant les révoltes du Printemps arabe. En Libye, le droit des femmes est totalement inexistant, la misère et la guerre civile en étant la toile de fond. En Egypte, le Maréchal Sissi a pris brutalement le pouvoir afin d’éviter que le pays ne tombe sous la férule des Frères Musulmans de Mohamed Morsi dont la première réforme fut de faire inscrire la charia dans la constitution…
Nous-mêmes, en Europe, sommes menacés par l’entrisme des islamistes qui fraient rapidement leur chemin et risquent fort à moyen terme, de faire reculer certains de nos droits fondamentaux.