Entretien avec Pierre Rigoulot, spécialiste de la Corée du Nord

Pierre Rigoulot est le directeur de l’Institut d’histoire sociale, un think tank attaché à la défense de la démocratie libérale et qui dénonce les différentes formes de totalitarisme – post-communisme et islamisme politique. Cet institut publie en ligne la revue Histoire & Liberté et organise régulièrement des conférences-débats sur des thèmes d’actualité. Pierre Rigoulot a publié divers ouvrages sur le communisme et ses modes de répression. Il a aussi participé au Livre Noir du communisme pour ce qui concerne la Corée du Nord.
Son dernier ouvrage paru : « Quand Poutine se prend pour Staline » (Buchet-Chastel, 2023, co-écrit avec Florence Grandsenne).

La SIDH a eu la chance de le recevoir.
Il répond à six questions pour le site de l’association.

1) La Corée du Nord vit une situation économique difficile où la disette n’est pas rare. En outre, contrairement à l’opinion reçue, son armée est obsolète et son organisation repose sur des modèles anciens. Quelles sont, à votre avis, les priorités de la Corée du Nord en matière de défense ?

Si les chars et les avions nord-coréens sont en effet obsolètes, la Corée du Nord a d’autres atouts : elle possède une véritable force nucléaire avec des lanceurs dépassant les 5000 km et sans doute quelques dizaines de bombes. Elle a su mettre, probablement avec l’aide de l’URSS, deux ou trois satellites-espions en orbite. Elle forme chaque année quelques dizaines d’excellents spécialistes en cybernétique. Enfin, elle travaille d’arrache-pied à se doter d’une flotte de sous-marins lance-missiles. Bref, c’est une vue contrastée mais de plus en plus redoutable.

2) La Corée du Nord cherche à rééquilibrer son budget en envoyant des Coréens en Russie. Ils y vont soit pour pallier le déficit de main d’œuvre en Russie, soit pour se battre en Ukraine. Dans ce second cas, n’ayant pas de formation à la guerre moderne, c’est un véritable massacre.
Pouvez-vous nous en dire plus ?

On ne sait pas exactement combien de soldats ont été envoyés en Russie. Quelque chose entre 10 et 15 000 hommes. Les services secrets de Corée du Sud parlent de 5 ou 600 blessés. On ne doit pas être loin de 150 morts, mais il faut être prudent avec nos supputations chiffrées. Deux soldats nord-coréens sont entre les mains des Ukrainiens qui ne les rapatrieront pas, j’espère : considérés comme des traîtres ou au moins comme des lâches, eux et leur famille pâtiraient gravement d’un retour dans leur pays d’origine. On notera surtout que cet envoi a donné au numéro 1 du pays une place nouvelle sur l’échiquier international. Il intervient en Europe, fournit des armes et des munitions à la Russie qui en manque. Et je ne dis rien de l’excellente opération financière de Kim Jong Eun : 80 % de la solde de chaque soldat vont dans les caisses de l’État. 

3) Quel est le poids de la Corée du Nord dans les relations russo-chinoises, à l’aune de la guerre en Ukraine ?

La Chine ne dit rien mais chacun peut observer que la Corée du Nord entretient une relation privilégiée avec la Russie. Celle-ci a signé avec la Chine en février 22 une grande déclaration d’amitié, d’alliance, et de détestation du système démocratique tel que nous le conduisons. Mais qui peut se fier à de telles déclarations ? La Chine et la Corée du Nord ont repris leurs échanges commerciaux, totalement interrompus du fait du covid mais les délégations officielles qui se rencontrent sont en ce moment d’un bas niveau. Qui boude? La Chine, sans doute… qui perd un allié parfois utile.

4) Quelle est la situation des Droits de l’Homme en Corée du Nord en matière d’information, de déplacement et d’enfermement. Le système concentrationnaire est tout à fait singulier, avec un système et une sociologie des camps qui lui est propre. Que pouvez-vous nous en dire ?

La Corée est une triste redite du système stalinien sur le plan des droits de l’homme : sortie du pays interdite et devenue même quasi impossible après la modernisation des barrages à la frontière  sino-nord coréenne. Dans l’ensemble du pays s’exerce une surveillance serrée grâce à un système d’ilotage comme à Cuba; Un seul journal, une télévision strictement contrôlée par l’État, un seul parti (le « Parti des travailleurs », évidemment !) Mais l’État fait plus : il pousse la population à mettre en scène dans de grands spectacles collectifs sa « joie immense » à « construire le socialisme » sous la direction de leur chef génial ! Pour les récalcitrants, pour les auteurs de délits ou de crimes, ont été construits des camps de concentration. Il y en a une dizaine dans le pays, ciblés par les satellites occidentaux et surtout américains. Ce sont des sortes de réserve d’une centaine de kilomètres carrés où travaillent des détenus. On peut être enfermé avec sa famille jusqu’à ce qu’on soit jugé « régénéré » et apte à retrouver le monde. Il y a aussi des camps d’où l’on ne revient pas. il y a peut-être 100 000 détenus – certains  estiment qu’il y en a 200 000. Comment savoir ?

5) Dans un pays aussi fermé que la Corée du Nord, on se demande comment peut parvenir l’information à l’extérieur. Comment arrivez vous à être informé ?

Il faut lire entre les lignes les informations et les communiqués de l’agence officielle, la KOREAN CENTRAL NEWS AGENCY. Il y a quelques témoignages de réfugiés. J’ai moi-même recueilli le témoignage d’un homme qui fut libéré après 10 ans de détention et qui avait ensuite passé la frontière chinoise et s’était caché dans un navire à destination de la Corée du Sud.
Quelques diplomates aussi ont raconté leurs souvenirs. Vous pensez bien que tous les systèmes militaires d’écoute tournés vers la Corée du Nord apportent eux aussi des informations…

6) Un nouveau président vient d’être élu en Corée du Sud, voyez-vous une nouvelle opportunité pour la Sunshine Policy ?

Pas du tout ! La gauche a pris le pouvoir et tentera sans doute de renouer le dialogue avec le Nord, mais ce dernier a coupé tous les ponts et refuse même l’idée de réunification à venir, un jour lointain, une réunification qu’on évoquait rituellement jadis…

Propos recueillis par Sabine Renault Sablonière pour SIDH France

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