Entretien avec Antoine Basbous, Politologue, directeur de l’Observatoire des pays arabes et associé chez Forward Global.
Le Moyen-Orient est en guerre. Existe-t-il des zones de stabilité ?
La guerre au Moyen-Orient est à géométrie variable. Il y a des épisodes conflictuels ultraviolents qui apparaissent au grand jour ; d’autres souterrains qui préparent les conflits et se manifestent le moment venu. La trêve entre deux phases guerrières n’est pas synonyme de paix, mais plutôt la préparation de l’épisode suivant.
Cependant, entre la Méditerranée et la Caspienne, soit entre Israël et l’Iran, il existe une zone préservée dans le Golfe. Les monarchies arabes de la région sont des oasis de stabilité, de modernité, d’autoritarisme et de prospérité. Elles sont toutefois vulnérables car susceptibles de subir des frappes de l’Iran ou de ses proxys. D’un côté, leur espace aérien est survolé régulièrement dans les échanges de frappes croisées entre Israël et l’Iran, opérées par des missiles, des drones ou par l’aviation militaire ; et de l’autre, l’Iran peut frapper ses voisins – comme il l’a fait contre le Qatar en juin dernier – ou encore charger son bras armé au Yémen d’opérer des frappes de missiles contre ces monarchies pour son compte.
Quels sont les facteurs de blocage ?
Le prétexte premier de tous les blocages, c’est l’absence de solution au conflit israélo-palestinien. Le sort réservé au peuple palestinien provoque humiliation et indignation chez les opinions publiques arabes et islamiques du Moyen-Orient, au moment où Israël poursuit, voire accélère la colonisation de la Cisjordanie tout en niant l’existence d’un peuple palestinien et en refusant toute assise territoriale sur laquelle il pourra s’émanciper.
Israël pense qu’il aura liquidé l’idée d’un État palestinien en fêtant son 1er siècle d’existence en 2048. Pour ce faire, il met en pratique une vision messianique et accélère la colonisation de la Cisjordanie en poussant les Gazaouis vers l’Égypte et les cisjordaniens vers la Jordanie. Les régimes arabes sont lassés de soutenir une cause qui leur coûte cher, et qui n’a pas vocation à déboucher sur une solution. De son côté, l’Iran exploite cette cause pour exercer son hégémonie sur le monde arabo-islamique en prétendant soutenir cette « cause sacrée ». En réalité, le cynisme iranien avec le plan conçu par le général Qassem Souleimani, tué dans une frappe de drone en 2020, ordonnée par Trump, aura coûté extrêmement cher à la population de Gaza, vouée à la déportation après l’échec de cette entreprise terroriste du 7 octobre 2023.
La politique américaine peut-elle être prise au sérieux ? Les accords d’Abraham ont-ils un avenir ?
Les États-Unis demeurent le premier acteur de la géopolitique moyen-orientale, voire planétaire. Ils sont constants dans leur soutien quasi-inconditionnel à l’État hébreu. Les méthodes dépendent de la personnalité du locataire de la Maison-Blanche. Il peut être farfelu ou sérieux. L’état profond reste la colonne vertébrale de l’Amérique et constitue la liaison entre les mandats des différents présidents.
Les accords d’Abraham ne peuvent être relancés que si la promesse sérieuse de l’émergence d’une entité palestinienne, à une échéance crédible et garantie par la puissance américaine, est actée. Sans cela, cette dynamique ne pourra plus prospérer. Bien, au contraire, elle pourrait même régresser sous la pression de l’opinion publique.
Propos recueillis par Sabine Renault Sablonière pour SIDH France