Antoine Basbous : « Assad a chuté sans combat. Comme un fruit mûr’
Israël, Syrie, Turquie, Qatar… La SIDH recevait le 26 novembre dernier Antoine Basbous, politologue et journaliste franco-libanais. L’occasion de faire un tour d’horizon de l’actualité du Moyen-Orient.
Quel bilan tirer de la guerre d’Israël depuis le 7 octobre 2023 ?
Israël a démontré une suprématie militaire et technologique impressionnante sur un rayon de 2 500 km. Cette guerre, qualifiée de « première guerre de l’intelligence artificielle », a mis en lumière la puissance des services de renseignement israéliens : élimination de dirigeants du Hamas et du Hezbollah, opération des bipeurs qui a neutralisé environ 5 000 cadres du Hezbollah, frappes sur les infrastructures iraniennes en Syrie, et destruction des capacités de défense aérienne de l’Iran.
Cependant, malgré ces succès militaires, Israël peine à les convertir en dividendes politiques. Après 25 mois de conflit, Gaza n’est toujours pas contrôlée, le Hezbollah existe encore (bien qu’affaibli de 80%), et l’Iran reste dans le déni, présentant même la situation comme une victoire à son opinion publique. La stratégie iranienne d’encerclement d’Israël par ses proxys a échoué, mais aucun adversaire n’a formellement capitulé.
Qui est Ahmad al-Charaa (ex-al-Jolani) et peut-il stabiliser la Syrie ?
Al-Charaa est un produit du djihadisme : emprisonné en Irak par le général Petraeus (qui l’avait classé parmi les « prisonniers prometteurs »), il a ensuite évolué d’Al-Qaïda à Daech avant de fonder son propre mouvement. Les Qataris et les Turcs l’ont rendu « présentable » — il a raccourci sa barbe, adopté le costume-cravate, et multiplié les rencontres diplomatiques (33 au total, incluant Riyad, Washington, Paris).
Ses convictions djihadistes semblent désormais enfouies par pragmatisme : devenir un nouveau Zawahiri ou Baghdadi signifierait sa mort. Il fait preuve de souplesse avec les puissances étrangères et s’est montré ouvert envers Israël.
En revanche, il manque cruellement de souplesse sur le plan intérieur. Son régime adopte une mentalité de « conquérant » plutôt que de bâtisseur national. Les massacres contre les Alaouites (mars), les Druzes (mai et juillet), et les affrontements avec les Kurdes témoignent d’une incapacité à construire un partenariat avec les minorités. Sans cette inclusion, la Syrie risque de rester instable.
Quel est le jeu d’Erdogan dans la région ?
Erdogan, dont le mandat se termine dans trois ans (le dernier selon la constitution actuelle), a deux priorités. La première est politique : modifier la constitution pour s’octroyer un mandat à vie, ce qui explique son rapprochement récent avec les Kurdes de Turquie dont les voix comptent au Parlement.
La seconde est stratégique : empêcher la réalisation du « couloir de David », un projet israélien qui relierait les territoires kurdes au port de Haïfa, donnant aux Kurdes un accès à la mer et à Israël un accès aux hydrocarbures kurdes. Cette perspective inquiète profondément Ankara, d’où la volonté que Damas contrôle fermement le nord-est syrien.
Erdogan cultive par ailleurs une image de « calife » — son entrée à 14h53 dans Sainte-Sophie reconvertie en mosquée (référence à 1453, chute de Constantinople) illustre ce symbolisme. Il s’appuie sur une base conservatrice et religieuse du centre de la Turquie, même si les grandes villes (Istanbul, Ankara, Izmir) votent désormais contre lui.